JV

Once upon a Jester

Once upon a jester, c’était tellement bien! Idéal pour une séance JV en salle cinéma. Tout le monde y trouve son compte, y compris en tant que spectateur. Ça se regarde avec plaisir, comme un dessin animé. Super personnages, catchy songs, bonne comédie.

https://www.gog.com/en/game/once_upon_a_jester

JV

Patrimoine informatique et vidéoludique en danger : aidons l’association MO5!

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Comment concrètement AIDER l’ASSOCIATION MO5 :
Plus d’informations sur le site de soutien
http://soutien.mo5.com
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L’association MO5.COM réunit plusieurs passionnés qui se consacrent à la préservation de l’histoire de l’informatique et du jeu vidéo. Elle catalogue, restaure et entretient une importante collection de machines anciennes, de consoles, jeux vidéos, accessoires, logiciels, magazines et manuels, selon les standards des musées nationaux. Je pense qu’on peut tenter un parallèle entre le travail réalisé par Philippe Dubois et MO5 avec celui d’Henri Langlois et la cinémathèque française.

Un petit aperçu de l’impressionnante collection :

À plusieurs reprises des institutions comme la Villette (conférences et expositions), la BnF (dons d’anciennes machines), le Cnam, le musée des Arts décoratifs ou la bibliothèque du Havre en 2007 (exposition) ont fait appel au savoir-faire de MO5.

Le travail effectué par l’association est admirable. Mais aujourd’hui elle va perdre ses locaux et ne sait pas où stocker son musée du jeu vidéo, tout cela risque de disparaître. Voici l’appel à l’aide que je relaie ici:

Attention : Patrimoine en danger !

Depuis plus de 10 ans, les collectionneurs fondateurs de l’association MO5 ont assemblé une des plus grandes collections d’Europe dédiée à l’histoire de l’informatique et des jeux vidéo, et la font vivre au travers d’expositions interactives ouvertes au public.

Mais nous sommes aujourd’hui menacés : en effet, la collection de l’association est entreposée dans les sous-sols d’un collège en région parisienne. Une commission de sécurité a relevé des défauts de protection dans l’installation du bâtiment, dont des risques d’incendie. Les 30 000 pièces qui composent la collection doivent donc partir au plus vite. Or l’association, composée de bénévoles, ne dispose pas des moyens nécessaires pour déplacer les pièces, ni d’un local sécurisé pour les entreposer.

Aussi, si nous ne trouvons pas de solution rapidement, ce sont des milliers de pièces, livres, magazines, logiciels et machines qui risquent la destruction, ce qui représenterait une perte patrimoniale majeure au niveau national. Plus que jamais, nous avons besoin d’aide et d’appuis politiques pour faire comprendre à l’État l’importance de nos travaux de préservation de ce patrimoine !

Vous aussi vous pouvez nous aider !

Avec les moyens qui sont à votre disposition – forums, blogs, mail –, vous pouvez informer le public.

Si vous habitez Paris ou la région parisienne, vous pouvez nous prêter main-forte le week-end pour nous aider à préparer notre déménagement.

Peut-être connaissez-vous quelqu’un disposant d’un local qui pourrait être mis à la disposition de l’association pour son travail.

Vous pouvez également nous aider financièrement. Tout l’argent récolté sera utilisé pour nous permettre de sauvegarder ce patrimoine avec l’achat ou la location d’un espace de stockage.

Les cartons :Nous sommes entrain de ranger notre réserve et nous avons besoin de cartons. Si vous passez nous aider, pouvez-vous acheter ou avoir des cartons :
# Cartons moyen format d’environ 60x40x30 cms pour les machines
# Cartons petit format d’environ 40x30x20 cms pour les livres ou logiciels
# Cartons à bouteilles de vin trouvé chez les grossistes de vins pour les magazines.
Garder les tickets de caisse, l’association vous remboursera. Merci

Nous vous invitons à nous rejoindre sur

http://soutien.mo5.com

, un site dédié à cette opération, sur lequel nous publierons les dernières informations.

JV et BIB

Du mmorpg en bibliothèque : Dofus à Saint-Raphaël

C’est à Reims, en quittant le congrès de l’Abf que j’ai croisé Franck, de la médiathèque de Saint-Raphaël. Juste avant de vite rejoindre le stand très fréquenté des hybrides, il a le temps de me dire « Eh, ça fait un an que dans notre bibliothèque on joue à Dofus ».
Évidemment, ça méritait un billet sur ce blog et plus d’explications.

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Depuis octobre 2007 la médiathèque de Saint-Raphaël et la bibliothèque de Roquebrune-sur-Argens proposent à leurs adhérents de jouer à Dofus.

Dofus, c’est un mmorpg (Massively multiplayer online role-playing game) développé par Ankama, une société de Roubaix partie de trois fois rien et qui s’est énormément développée en quelques années.

[Mmorpg] signifie Massively multiplayer online role-playing game, Jeu de rôle massivement multi-joueur en ligne. C’est un RPG dont le monde virtuel est persistant, c’est à dire qu’il évolue même si le joueur est déconnecté. Le jeu se caractérise aussi par l’important nombre de joueurs présents en même temps sur la même carte. Le MMORPG le plus connu est sûrement World of Warcraft. (section-n)

Des graphismes fins, détaillés, soignés :

Avant ce billet je connaissais finalement assez peu Dofus: uniquement de nom car je n’y avais jamais joué. Ce matin c’était la bonne occasion (excuse): je me suis créé un compte et l’ai essayé toute la matinée. Graphiquement, je trouve le jeu très beau. Ça fourmille de détails et la maîtrise du dessin en 2D me rappelle un peu la patte de Dan Malone, un graphiste dont j’aime beaucoup le travail réalisé au début des années 90 dans les jeux des Bitmap Brothers comme Cadaver [◎] par exemple, qui adoptait également une perspective isométrique. Presque vingt ans plus tard, la technologie est différente mais je vois un petit quelque chose de parallèle, un point commun entre les graphismes de ces deux jeux, tous deux minutieux et surprenants compte tenu des limites techniques imposées. Les musiques également sont chouettes. J’aime aussi beaucoup le système de combats au tour par tour, qui permet un rythme de jeu plus posé que le temps réel. Le tour par tour c’est un système qui met le jeu en pause tant que vous n’avez pas agi. Appliqué aux combats, ça donne donc un côté plus tactique et moins action. Comme les échecs, si vous voulez : vous ne jouez pas tant que votre adversaire n’a pas fini son tour. Ça permet de réfléchir et ça donne des combats qui tiennent plus de la stratégie que de l’adresse, plus réflexion que réflexes. Bref, c’est pas Mortal Kombat.

Un aperçu du jeu:

Au final je trouve ce jeu tout en flash assez bluffant, et pas uniquement pour son côté multijoueurs. Allez, si vous voulez vous-même tenter l’expérience du jeu, rendez-vous sur dofus.com, on poursuit ce billet en causant bibliothèques.

★☆★

Sur son blog medi@zone, le département multimédia de la médiathèque de Saint-Raphaël explique la marche à suivre pour participer :

Tu veux jouer à DOFUS ?
Viens au bureau des inscriptions multimédia.
Présente ta carte d’abonné de la Médiathèque.
Le médiateur multimédia va t’installer et te connecter à un compte Dofus.
Tu garderas toujours le même compte et donc le même personnage.
Tu peux jouer avec ce personnage uniquement en venant à la Médiathèque.
Tu peux venir une fois par semaine en période scolaire et un peu plus pendant les vacances. Tout cela dépendra des places disponibles.

Tu pourras faire des combats contre des monstres, pratiquer ton métier, faire des quêtes… pour augmenter ton expérience et ainsi progresser dans le jeu. L’île Incarnam te permettra de vite passer les premiers niveaux de ton personnage. Nous utilisons uniquement les zones gratuites de Dofus.

Si tu as des questions ou si tu rencontres des problèmes dans le jeu, les médiateurs multimédia sont là pour te conseiller. Tu trouveras sur tous les ordinateurs de la médiathèque, des sites internet sur les personnages, les monstres, les panoplies, les sorts, les métiers…

Un autre billet sur le site donne des conseils pour bien jouer, et plus loin on découvre que ce sont carrément des tournois par équipes qui sont organisés entre Saint-Raphaël et Roquebrune sur Argens !

… [le] plus attendu des tournois, la rencontre finale qui départagera le vainqueur de l’aventure Dofus à la Médiathèque. Votre enfant vient s’entraîner régulièrement et représente l’équipe de votre commune. Un goûter clôturera la rencontre finale le 28 juin avec la présence de nos élus respectifs qui récompensera la participation des jeunes à cette aventure et donner ainsi un sens réel au terme “communauté”.

En voyant tout cela je repense à mon credo : « le jeu vidéo en bibliothèque, pour lui-même ». Alors finalement, est-ce-que ce n’est pas ce qu’on trouve à Saint-Raphaël? Posons directement la question à Franck, responsable du département informatique et multimédia.

☆★☆

Pourquoi avoir choisi le jeu Dofus?
C’est un jeu de stratégie, pas un FPS (NdL : First Person Shooter, jeu de tir en vue subjective), se déroulant dans un univers d’héroïc fantasy, avec des graphismes et des musiques intéressants et surtout pas mal d’humour : un second degré que les enfants – ados apprécient.

Nous voulions un jeu qui permette de constituer des groupes, pour que les enfants viennent jouer à la bibliothèque ensemble plutôt que seuls à la maison et que les plus expérimentés soient les tuteurs des débutants. Certains enfants ont leur propre compte Dofus à la maison mais viennent tout de même jouer à la médiathèque.

Dofus a été choisi spécifiquement pour la tranche des 8-15 ans mais cette proposition part d’un renouvellement total de notre offre multimédia jeunesse. En octobre 2007, nous avons entièrement renouvelé le parc des 15 ordinateurs (9 pour les enfants et 6 pour les adultes). Nous avons abandonné notre ancien réseau de cédéroms qui fonctionnait sur le produit cd-line d’Archimed pour imaginer une nouvelle interface et des accès à des jeux, des sites ou des services sur Internet. Vous retrouvez cette interface sur le site de la bibliothèque de Saint-Raphaël sous le nom de Zone Numérique Jeunesse : cliquez sur le camion de la page d’accueil.

L’idée principale qui nous a guidés a été de partir des usages actuels des enfants quand ils vont sur Internet. On a lu attentivement l’enquête de Sylvie Octobre sur les loisirs culturels des 6-14 ans (en vente à la documentation française) avant de définir notre projet qui s’adresse à tous les moins de quinze ans… C’est une des rares enquêtes sur cette tranche d’âge, l’enquête d’Olivier Donnat sur les pratiques culturelles ne démarrant qu’à 15 ans.

En parallèle de cette rénovation, nous avons travaillé avec l’équipe jeunesse pour offrir des passerelles vers les CD audio de la section, offert une sélection de DVD à regarder et modifié l’espace de deux façons. Les 9 postes multimédia sont alignés : nous avons choisi de mettre notre poste d’accueil au centre pour accueillir et être plus prêt des enfants ; en second lieu, nous avons créé en partenariat avec l’équipe jeunesse, un coin ado avec mangas, comics, cédéroms, tables et chaises…

D’ octobre à décembre 2007, sur 100 enfants inscrits, 76 sont venus attirés par cette nouvelle offre. Les 8-15 ans sont de loin les plus nombreux à venir. Le jeu Dofus n’est pas le premier usage : ils sont beaucoup intéressés par les vidéos et par le tchat. L’usage de MSN est autorisé. Ce que nous ne faisions pas avant.

Serait-il possible/intéressant selon toi de faire une animation similaire avec un autre genre que le mmorpg ?
Oui on pourrait très bien… il faudrait que le jeu soit très bien construit pour tenir une année. Car le mmorpg a beaucoup d’avantages : il est hébergé sur Internet, il évolue régulièrement à cause du nombre important de joueurs (plusieurs millions pour Dofus !), on peut jouer seulement avec les joueurs de St-Raphaël et de Roquebrune ou bien avec tous…

Dofus est un jeu payant, par abonnement mensuel. Une petite partie du jeu est gratuite. Avez-vous acheté des abonnements ou bien restez-vous dans la zone de démo gratuite?
On reste uniquement dans la zone gratuite ce qui est largement suffisant.

Vous indiquez sur le site « Tu peux jouer avec ce personnage uniquement en venant à la Médiathèque ». Cela signifie que les usagers ne disposent pas de leurs codes d’accès? Pourquoi ce choix?
Oui, cela implique que nous conservons les mots de passe et la gestion des comptes. Nous ne voulions pas que les enfants ennuient les parents pour leur demander de s’abonner à ceci à cela dans le jeu, commander objets et autres fantaisies. Nous ne voulions pas qu’une animation de la médiathèque dégènère en rapport d’argent. L’utilisation des comptes personnels des enfants (créés à la maison) étaient bannis même si certains ont parfois contourné les règles.
En fait, au cours de l’année, nous avons eu un problème. Un des participants a photographié avec son téléphone portable la liste des codes des comptes pendant que l’un d’entre-nous avait le dos tourné ! Cet enfant a ensuite « pillé » les objets récoltés par ses petits camarades. Cela a généré un « conflit » pénible à gérer sur le moment mais intéressant et éducatif avec le recul : nos ados se sont rendus compte que jouer sur Internet pouvait avoir des conséquences fâcheuses en terme de sécurité et de confiance. Pas d’autres conséquences car les comptes que nous utilisions étaient gratuits et tous leurs ingrédients (objets, argent du jeu : les kamas) complètement virtuels.
82 comptes ont été créés et l’avantage de toutes ces inscriptions s’est ressenti dans les autres usages de la bibliothèque. Certains de ces enfants non inscrits précédemment se sont mis à emprunter…
Le jour du dernier combat, tous les enfants recevront leur code d’accès dans une enveloppe. La médiathèque ne sera plus responsable des comptes. Pour l’an prochain, nous proposerons la suite de Dofus : Wakfu qui sort à l’automne…

Vous êtes combien pour animer ces ateliers ?
Six personnes. Nous avons été « initiés » par une collègue de l’équipe qui jouait déjà à ce jeu. Il est important avant de proposer ce type de jeux de les tester. On a fait plusieurs matinées de tests entre-nous et l’animateur de la ville partenaire, tests qui ont été concluants. Les règles de jeu au sein de notre espace ont été définies lors de cette phase. Les enfants nous ont maintenant largement dépassés, à part deux collègues qui continuent à jouer. Mais, finalement, les choses sont tellement cadrées qu’il n’y a pas de problèmes particuliers à signaler. Ce qu’il faut gérer c’est plutôt leur enthousiasme pour ce jeu qui génère pas mal de bruit ! Cet ennemi des bibliothécaires dans toutes ses acceptions !
En octobre, nous avons rapidement modifié le temps de consultation : de 1h par semaine nous sommes passés à une heure par jour. Un logiciel libre de gestion du temps de type cyber-café a été installé pour mieux gérer leurs impatiences. Ce type de jeu développe la faculté de négociation ! Souvent, les enfants débutaient un combat quelques minutes avant la fin de leur temps et donc venaient quémander de précieuses minutes. Nous avons fini par ne plus céder car cela devenait ingérable !

Vous vous y connaissez tous en jeu vidéo ou bien il a fallu organiser des formations internes pour apprendre Dofus aux animateurs ? 🙂
On n’y connaissait pas grand chose en jeu vidéo d’aujourd’hui ! On avait l’expérience des premiers jeux. Les six personnes de l’équipe multimédia (Yann, Erwan, Michele, Anna et Stéphanie – notre spécialiste Dofus – remplacée récemment par Mickael) sont tombées dans l’informatique quand elles étaient petites ! Et on est tous super motivés ! On s’y est mis. On était convaincus, de toute façon, après 8 ans d’expérience d’animation du multimédia qu’il fallait partir sur ce que font nos digital natives avec l’informatique. L’étude de la DEP sur les loisirs culturels des 6-14 ans a achevé de nous convaincre. Son enquête repère des groupes d’enfants et d’usages : statistiques confirmées par les pratiques quotidiennes des enfants !

Est-ce que vous impliquez également les usagers dans la création, la rédaction du blog?
On a eu deux blogs Médiazone : le premier était sur la plateforme over-blog. Les enfants spontanément nous ont proposé des coups de cœur de livres qu’ils avaient lus. Ce blog était surtout utilisé pour avertir les enfants (c’était il y a trois ans !). Problème : nous étions ennuyés par la publicité : parfois nous retrouvions des publicités aléatoires pour des sites de rencontres.
Nous avons donc abandonné cette plateforme et nous avons installé WordPress, libre et gratuit, sur notre serveur de publication du site de la Médiathèque. Nous avons donc éliminé ce problème. Par contre, nous n’avons pas eu de commentaires sur ce blog. Nous ne les avons pas non plus sollicités, le blog servant plutôt de lien.
Mais nous savons que les enfants y vont car nous proposons le service Deezer avec une sélection de leurs musiques ! Souvent, ils se branchent sur le blog pour écouter tout en jouant à Dofus, ou en tchattant. Les récents débats du Congrès de Reims ont bien confirmé cette propriété des digital natives : ils sont multi-actifs et font plusieurs choses en même temps. Ce que nous avons parfois du mal à comprendre en le dénigrant sous l’appellation de lecture zapping donc… superficielle. C’est un concept sur lequel nous devrions réfléchir.

Combien de joueurs avez vous entrainés dans l’aventure ?
On avait prévu 40 comptes. On en a ouvert 82 à ce jour à Saint-Raphaël. Plus de 50 à Roquebrune sur Argens. Même constat à Roquebrune sur l’augmentation des prêts !

Dans la mesure où vous utilisez la version démo gratuite, vous n’aviez pas besoin d’Ankama pour obtenir des comptes. Les avez-vous tout de même contactés pour faire ces ateliers?
Oui on aurait pu créer les comptes nous-mêmes, mais créer 80 comptes aurait été laborieux. Il faut à chaque fois créer une boite aux lettres. Ankama a un système automatique pour les créer. Ça a été plus vite !
Et nous avons signé une convention d’utilisation avec eux. La proposition du jeu a été validée en conseil municipal. Ils nous ont donné les comptes, des affiches…

Cette convention, c’était une nécessité juridique ?
Non, plutôt une volonté d’avoir eu l’aval de notre hiérarchie, et pour qu’elle sache quel type d’animation nous faisons. Il me semble important de contacter l’éditeur pour qu’il soit au courant et ne nous bloque pas l’animation en cours d’année. En plus, ça permet de créer un partenariat : on reçoit en octobre une exposition pour Lire en fête 2008 (celle présentée au dernier salon de la BD d’Angoulême) et nous accueillerons un dessinateur du jeu !

Quel est le coût (temps/matériel/financier) d’une animation de ce genre?
Difficile à estimer car nous ne travaillons pas que sur Dofus mais sur l’ensemble des animations proposées sur les espaces adultes et jeunesse, en liaison avec le site Internet et l’interface que nous développons en jeunesse. On s’est réparti les tâches entre les six membres de l’équipe.

Depuis deux ans, on a pris beaucoup de temps pour réfléchir à ce que nous voulions faire. Quelques matinées pour maîtriser les bases de Dofus.

Et puis, maintenant, chacun apporte sa pierre pour faire avancer l’ensemble. Un collègue est plutôt le webmaster du site alors qu’une autre gère l’interface. On est tous sur le terrain.

Quels sont les ingrédients pour initier et réussir une animation comme la vôtre?
La volonté de l’équipe et son adhésion. Cela demande plus d’énergie et d’implications que de simplement donner accès aux postes en gérant un planning. Une présence active. On en ressort parfois un peu épuisé ! On tourne donc entre les espaces multimédia adulte et jeunesse.

Un ado, ça fait bouger les règles constamment ! Lapalissade rappelée lors du Congrès de Reims. L’équipe multimédia doit se parler, tenir un cahier de liaison pour ne pas être débordée. Il faut dialoguer avec les jeunes et aussi le reste de l’équipe. Il faut accepter qu’une bibliothèque ne soit plus dédiée au silence.

Le côté tournoi de votre dispositif fait bien sûr penser au sport. Une question provocante : que dirais-tu d’organiser du foot en bibliothèque ? De la pétanque? En quoi serait-ce différent de Dofus?
Xavier Galaup l’a récemment proposé sur son blog. Tout est possible ! Ma réponse serait :
pour quel projet ? Quand on analyse ce que proposent les bibliothèques américaines et du Nord de l’Europe, la composante « biblio » a sérieusement bougé. Dans nos bibliothèques aussi d’ailleurs.

Notre idée de base, je le rappelle, était de partir des usages des jeunes de notre bibliothèque. Le projet est conçu sur le territoire local. Notre questionnement, c’était : que font-ils en dehors de l’école ? Pourquoi ne viennent-ils pas à la bibliothèque ? Comment les y attirer ? À quoi rêvent-ils ?

En voyant le succès de Harry Potter, j’ai un peu de mal à croire que nos enfants et adolescents n’ont plus envie de lire, de rêver, d’imaginer… Ils sont en plein dedans, est-ce que le succès de Harry Potter est simplement dû qu’à la qualité du marketing ?

Je crois profondément que c’est juste une question de méthode. La bibliothèque, l’école, les institutions et le milieu de la famille subissent la même crise : celle d’un rejet des arguments d’autorité.
Si nous leurs disons : « voilà les livres qu’il faut lire… Cet auteur est un grand auteur… » , nous éprouvons des difficultés à nous faire entendre. Même si nos collections sont excellentes. Il faut montrer pourquoi nos choix sont plus riches, plus intéressants…

Dofus et nos autres propositions ne sont pas seulement une manière pour les attirer vers le noble livre ! C’est, en premier lieu, se mettre à côté d’eux pour ensuite leur proposer les livres, BD, albums qui nous ont fait rêver. Leur proposer d’autres pistes…

Évidemment, on leur propose des animations tirées de leurs usages pour les attirer (c’est le but caché : les faire venir à la médiathèque !) mais nous respectons ce que nous leur proposons. Ce qui plait aux enfants ne plait pas forcément aux adultes ou aux bibliothécaires. Se mettre à leur écoute n’est pas de la démagogie…c’est pour prendre en compte ce qu’ils font et mieux dialoguer pour dans un second temps leur montrer nos choix. Pourquoi aimer Molière, par exemple, ça pourrait les aider dans leur vie ? Tartuffe, ça existe encore en 2008. C’est un travail sur le long terme. Nous étions jusqu’à présent plutôt des bibliothécaires omniscients, prescrivant une culture légitimée, nous devenons de plus en plus des médiateurs.

Crois-tu qu’il serait possible aujourd’hui qu’une bibliothèque propose des animations simplement pour le jeu lui-même, et pas comme produit d’appel vers les autres collections, vers les supports déjà plus établis?
Je crois qu’il ne faut pas être naïf et rester plutôt modeste. Certains enfants ne viennent que pour jouer sur les ordinateurs. Nous proposons des possibilités. Un jour, l’enfant abordera ou pas, les autres îles présentes dans la bibliothèque. Je crois beaucoup à la rencontre… au passeur…

Pour moi, Internet est un des éléments de la collection, pas un produit d’appel. Certains ont inversé cet axiome, en disant que la bibliothèque était une partie d’Internet. Mais notre métier n’est-il pas de mettre en valeur, de faire la promotion d’histoires, de contes, d’imaginaires qui peuvent aider à mieux vivre, à se détendre, à rêver ? Vous remarquez que je ne parle pas de supports.

On pourrait alors envisager des animations dont le but serait de faire découvrir la variété qui se cache derrière le terme générique de jeu vidéo? Par exemple une animation thématique sur « les jeux et la ville », ou « l’évolution du gameplay des rpg », ou « les jeux français » ?
Oui, les jeux vidéo sont aussi riches que n’importe quel autre média. Ce qui compte c’est le projet et les objectifs liés à ce projet.

Pour finir, une anecdote, un souvenir que tu retiens de cette expérience jusqu’ici ?
Quand nous réfléchissions sur ce renouvellement des propositions du multimédia jeunesse, nous avons pensé à communiquer autrement. On s’était dit : les enfants ne lisent pas le journal local ou le programme des animations de la Médiathèque. On va donc faire un flyer et on va aller le distribuer à la sortie des écoles pour les toucher sur leurs lieux de vies.
En fait, il y a eu une fuite. Un enfant a su que nous allions proposer Dofus. Ça a été une trainée de poudre… On a eu tout de suite plusieurs questions pour savoir la date de début. On n’a pas fait de flyers.

Seconde anecdote : plusieurs parents qui sont venus me voir pour nous remercier de proposer ce jeu à la bibliothèque. Cela leur permettait de gérer mieux l’accès à la maison et aussi de faire un petit chantage : « attention, tu seras privé de bibliothèque, si tu … » Amusant, non ?

Du mmorpg en bibliothèque …
… et de la bibliothèque en mmorpg !
Références

Trigger Happy en téléchargement gratuit sur le site de Steven Poole

Trigger Happy (Steven Poole)

La première édition de Trigger Happy date de 2000. Son auteur, Steven Poole, est anglais et a également participé à de nombreux articles pour le magazine Edge (consultable en haut de jardin à la BnF). A force d’entendre parler de ce livre, de me le faire conseiller, j’ai fini par me le procurer il y a quatre ans et je ne l’ai pas regretté. L’auteur s’intéresse au jeu vidéo de l’intérieur, à ce qui fait sa spécificité, etc.

Plus précisément le but de Steven Poole à la rédaction de ce livre était le suivant, tel qu’il l’explique dans cet entretien :

“[…] j’ai voulu essayer de décrire les plaisirs et la sophistication des jeux vidéo à un large public. J’ai donc décidé de caractériser les expériences qu’offrent les jeux vidéo en les comparant à celles que procurent d’autres formes d’art qui nous sont familières -comme la peinture, le cinéma et la littérature- et en faisant ressortir les différences. D’autre part, j’ai tenté d’intéresser les personnes qui connaissent déjà les jeux vidéo, et de développer les prémices d’un vocabulaire pour la critique de jeux vidéo”.

Matteo Bittanti, chercheur italien responsable du site videoludica.com, exprime son avis sur le livre dans cet entretien avec Tony Fortin du site Planetjeux :

“Trigger Happy fut le premier vrai livre journalistique novateur sur les jeux (et reste encore le meilleur sur bien des points)”.

Bref, c’est pour moi aussi un très bon souvenir de lecture et j’y retourne régulièrement tant je trouve cet ouvrage stimulant. Aujourd’hui Steven Poole met une version pdf de Trigger Happy en téléchargement gratuit sur son site, je vous invite à en profiter, d’autant qu’il est plutôt malaisé de s’en procurer une version papier.

JV/Musique

Évolution des techniques sonores du jeu vidéo illustrée par le générique de Monkey Island

La partie sonore (musique et bruitages) des jeux vidéo a considérablement évolué depuis les premiers jeux. Leurs autres composantes comme le graphisme, l’animation ou le gameplay ont également connu une évolution, fortement liée à la puissance toujours accrue des processeurs équipant les machines. Mais le son est un domaine où ces machines disposent désormais d’assez de puissance pour égaler en qualité acoustique d’autres supports audiovisuels qui leurs sont contemporains comme le CD ou le DVD.

Pour le dire plus simplement, plus rien n’oblige les musiques de jeux vidéo à sonner comme des musiques de jeux vidéo, ni les bruitages à se limiter à quelques bips. Il est aujourd’hui possible de faire lire à nos machines, pendant le jeu, des musiques enregistrées en studio par des musiciens jouant de tous les instruments possibles alors qu’hier le processeur sonore de l’ordinateur était chargé de générer chacun des sons, et de les jouer selon la partition programmée par le musicien.

La créativité des réalisateurs des bandes sonores de jeux vidéo est donc aujourd’hui beaucoup moins soumise à la technique inhérente à leur support. Il subsiste certes encore quelques contraintes particulières toujours liées à la puissance de calcul des machines: le nombre de bruitages simultanément jouables est toujours limité par exemple. Mais globalement, il est (serait?) techniquement possible d’atteindre pour un jeu vidéo la qualité de finition remarquable des univers sonores des films de David Lynch, pour reprendre cet exemple emprunté à Steven Poole.

J’aimerais dans ce billet tracer un aperçu de l’évolution des différentes possibilités techniques offertes au cours du temps par les machines de jeu. Je me focaliserai sur les ordinateurs familiaux de la fin des années 1980 à la fin des années 1990 et m’appuierai sur des exemples tirés de The secret of Monkey Island édité pour la première fois en 1990 par LucasArts. Les rééditions et adaptations de ce jeu d’aventures (« a graphic adventure by Ron Gilbert« ) sur différentes machines vont me fournir de quoi illustrer les mutations que je viens d’évoquer en vous faisant entendre des extraits de la fameuse musique d’introduction composée par Michael Land.

I) Les instruments de synthèse (ou soundchip)

C’est en 1990 qu’est édité Monkey Island sur l’ordinateur Atari ST. Cette machine sortie en 1985 était équipée d’un processeur sonore de type Yamaha YM2149 capable de générer trois signaux carrés simultanés. Un signal sonore carré est un signal périodique qui permute alternativement entre deux valeurs (haut et bas) avec une durée de transition négligeable.

Un son carré :
signalcarre.mp3

En clair : ce processeur était capable de générer des sons à la couleur très synthétique. Trois à la fois uniquement, on dit que l’atari ST disposait de trois voix. Il fallait alors beaucoup d’ingéniosité et de talent aux musiciens/programmeurs pour générer des sons différents, les utiliser comme des instruments et les assembler en mélodies. Voici celle de Monkey Island, sur Atari ST : tsomi.mp3. N’est-ce pas exquis? C’est ce qu’on appelle de la musique soundchip (processeur sonore en anglais) car elle utilise des sons/instruments générés par la machine.

A la même époque que l’Atari ST on trouvait un autre ordinateur d’architecture sensiblement équivalente: le commodore amiga.

II) Les instruments échantillonés

[◎] Le processeur sonore de l’amiga s’appelait paula. Outre un nom plus sympathique qu’ym2149, son organe vocal était également plus musclé. Ce processeur était lui aussi capable de synthétiser des sons, mais également de rejouer des enregistrements échantillonés! Pour faire court, un son échantilloné est un son « réel » qu’on a capturé avec un microphone relié à l’ordinateur. Les sons échantillonés (samples en anglais) sont ainsi bien plus réalistes que les sons de synthèse générés par les soundchips.
Cependant, un son échantilloné prend de la place, les supports de stockage et la mémoire des ordinateurs de cette époque ne permettaient pas de mettre de longs enregistrements sur une disquette. Le temps disponible se compte en secondes et bien qu’on aurait pu imaginer mettre une voire deux minutes de musique échantillonée à très faible qualité sur une disquette, il n’y aurait plus eu de place libre pour le reste du jeu, les graphismes et le programme.
Pour réaliser la musique des jeux amiga, les musiciens de l’époque ne pouvaient donc pas faire jouer un orchestre et tout enregistrer. Ils utilisaient alors de très courts échantillons d’instruments. Une caisse claire, une cymbale, une flûte, une basse, etc. L’amiga était capable de jouer quatre de ces échantillons à la fois, en boucle, et en les faisant varier de tonalité.
Ensuite, pour composer la musique, il s’agissait là aussi d’agencer ces instruments pour en faire une mélodie. La différence principale venait donc de la possibilité d’utiliser des instruments échantillonés en plus d’instruments synthétisés. En terme de bruitages, les possibilités étaient également bien plus riches qu’avec de la synthèse sonore. Voici la musique du générique de Monkey Island jouée par un Amiga : tsomi_amiga.mp3. Vous remarquez que les instruments, et en particulier les percussions, sont nettement plus réalistes, la basse est plus ronde. Même si le tout manque un peu de souplesse, que les notes sont comme juxtaposées, jouées les unes après les autres de façon assez mécanique, c’était à l’époque véritablement épatant comparé aux bips soundchip. La qualité des techniques utilisées dans le jeu vidéo était encore loin d’égaler celle des autres documents audiovisuels qui lui était contemporains comme la cassette audio ou vhs. Et tout ce qui tendait à simuler au mieux la « réalité », ou du moins à réduire cet écart entre le jeu vidéo et les autres supports audiovisuels, était source d’excitation et d’admiration.
Aujourd’hui en 2006, nous n’entendons plus ces échantillons de la même oreille. Nous sommes habitués aux enregistrements numériques haute fidélite qui surpassent en qualité ces techniques de la fin des années 1980. La fréquence réduite des échantillons amiga, leurs boucles parfois mal agencées ou trop flagrantes me font penser que les bips carrés des vieux processeurs sonores, extrêmement synthétiques, ont peut-être mieux vieilli. De nos jours, les ymrockerz qui composent sur atari st ou le collectif 8bitpeoples dont les membres utilisent souvent de nombreuses machines de différentes époques témoignent de l’actualité de ces sonorités.

III) L’hétérogénéité sonore des compatibles PC du début des années 1990

Le premier Monkey Island fut également édité sur les compatibles PC en 1990. Avant la fin des années 80, les ordinateurs PC étaient très peu utilisés pour le jeu et en général équipés d’un simple haut-parleur interne ponctuant les messages d’erreurs d’un petit bip. Ce haut parleur très limité ne disposait que d’une seule voix! Puis des constructeurs comme Adlib ou Creative Labs proposèrent plusieurs modèles de cartes sons pour PC.

Une des normes utilisées à cette époque est la norme MIDI (Musical Instrument Digital Interface), c’est un protocole de communication entre instruments de musique électroniques. La musique du jeu était donc programmée sous forme d’un fichier midi, qui envoyait à l’ordinateur des instructions pour jouer telle note, par tel instrument. L’ordinateur envoyait ensuite la demande à sa carte son, qui jouait les sons demandés. Mais l’hétérogénéité de ces cartes faisait que d’un PC à l’autre, le rendu sonore d’un même jeu pouvait varier de façon sensible.

A) Le soundchip à la puissance PC : la carte AdLib (1987)
[◎] Cette carte était capable de synthétiser des sons sur le même principe que le soundchip de l’atari ST mais elle était bien plus puissante: le nombre de voix était plus élevé (9 contre 3) et il était possible de générer des sons sinusoïdaux, plus ronds et chaleureux que les ondes carrées de l’atari ST, ainsi que d’autres bruits plus évolués encore, et combinables entre eux.

Un son sinusoïdal :
signalsinusoidal.mp3

Voici un extrait de la musique de Monkey Island interprété par un PC équipé d’une de ces cartes : adlib_monkeyisland.mp3

B) Les instruments échantillonés, version PC : Awe32 (1993) et Ultrasound (1995)
[◎] D’autres cartes sons plus puissantes encore firent leur apparition quelques années plus tard. Elles disposaient de beaucoup de mémoire, dans laquelle étaient stockés plusieurs échantillons correspondants aux instruments reconnus par la norme midi. Vous avez reconnu la technique des instruments échantillonés déjà utilisée sur l’amiga, mais le nombre de voix était cette fois bien plus élevé : jusqu’à 32 voix pour la carte soundblaster awe32 par exemple.

Revoici notre extrait musical, interprété par une carte awe32 : awe_monkeyisland.mp3 et par une carte Gravis Ultrasound : gus_monkeyisland.mp3. Avez-vous remarqué à quel point les différences sont notables entre ces trois cartes pour PC jouant la musique d’un même jeu?

C) Et votre propre machine ?
Nos ordinateurs sont aujourd’hui encore équipés d’une carte son, souvent intégrée à la carte mère. N’êtes-vous pas curieux de savoir comment votre machine interprèterait la mélodie de Monkey Island? Pour le découvrir je vous propose de télécharger ce fichier midi. Votre ordinateur va ensuite le jouer, et vous pourrez juger du rendu par rapport aux anciennes cartes son que nous venons d’écouter. Remarquez au passage la taille ridicule de ce fichier : la musique dure 3 minutes et le fichier pèse 30 KiloOctets. Un mp3 stéréo de qualité CD pèserait environ 3 MégaOctets, c’est-à-dire 100 fois plus! Pourquoi le fichier midi est-il si léger? Souvenez-vous, il ne contient pas d’échantillons, seulement quelques instructions destinées aux instruments électroniques, c’est pourquoi il est bien moins volumineux qu’un mp3 qui lui est un enregistrement de musique, un énorme échantillon!

En 1991 un deuxième épisode de Monkey Island sera publié sur Amiga et PC, les techniques sonores utilisées sont les mêmes que celles que nous venons de décrire.

IV) Depuis la deuxième moitié des années 1990 : L’échantillonage longue durée et haute fidélité grâce au CD-Rom

A) Les prémisses
Dès 1992, Monkey Island sera réédité sur support CD-rom. Ce support permettant de stocker des données informatiques et du son, la réédition bénéficiait d’une musique orchestrale, enregistrée au format CD audio! En 1992 les PC équipés pour cela était encore réservées aux plus fortunés des passionnés (et inversement), mais peu à peu en quelques années les lecteurs de CD-rom ont équipé un nombre croissant de machines jusqu’à ce qu’elle en soit toutes pourvues.
Ce que l’amiga laissait entrevoir une poignée d’années auparavant était désormais une réalité : stocker et faire rejouer à l’ordinateur des échantillons sonores de plusieurs minutes, en haute qualité!
Écoutez la version réorchestrée et enregistrée sur Compact Disc de notre hymne d’aventures ludico-caraïbes : track17.mp3.
Depuis ces années, les instruments, musiques et bruitages de jeux vidéo ne sont donc plus générées par la machine. Il s’agit d’enregistrements en studio sous différents formats numériques (wav, mp3, etc.) et rejoués pendant le jeu.

B) De nos jours
En 1997 LucasArts édite un troisième épisode de Monkey Island, sur PC (l’amiga et l’atari étant morts depuis une éternité : quatre ans). La bande son comi.mp3 utilise la même technique que la réédition de 1992 mais le résultat est plus riche, on entend de nombreux bruitages synchronisés avec les animations et pour la première fois dans l’histoire de la série tous les dialogues sont parlés! Les personnages en viennent même à chanter sur la musique : comi-04-A Pirate I Was Meant to Be.mp3 !

Mesurez-vous bien que seules 7 années se sont écoulées entre ce dernier extrait chanté et les bips carrés de l’atari ST ? J’espère que ce petit dossier aura su mettre en lumière que malgré son jeune âge, le jeu vidéo a déjà une histoire et a connu de nombreuses évolutions techniques.
On peut justement penser qu’aujourd’hui cette technique sonore du jeu vidéo a atteint un plafond. Elle a en tout cas rejoint en qualité acoustique, comme je le disais en introduction, celle d’autres supports dédiés à la reproduction d’enregistrements musicaux (CD audio, lecteurs mp3). À qualité technique équivalente, ce n’est plus tant la puissance des machines qui fait aujourd’hui évoluer la bande son des jeux vidéo, mais bien la créativité des musiciens.

THE END

sources : Le ScummBar, Phonomenal, Sagamonkey, WorldOfMonkeyIsland, LaCaverneDeGuybrush, Abcélectronique, VideoGameSheetMusic

[tags]Monkey Island, soundchip, ron gilbert, michael land, atari st, ym2149, amiga, paula, adlib, awe32, gus, cd-rom[/tags]

Pour les courageux qui sont encore là, voici un petit bonus vidéo :
JV/Culture

Cinéma et Jeu vidéo : développement d’une grammaire narrative propre à chaque art et construction d’une légitimité culturelle

Le jeu vidéo et le cinéma sont-ils comparables? Après avoir brièvement résumé l’évolution du cinéma, je vais examiner celle du jeu vidéo dans l’éventualité d’y découvrir des parallèles. Mon but est surtout d’ouvrir quelques pistes de réflexions sur ce sujet. Au cours de la rédaction me sont parfois apparus quelques contre-exemples à ce que j’avançais sans que je m’interdise pour autant de poursuivre car je ne prétends pas vous délivrer la vérité mais ma vision et ma connaissance du domaine, et je la sais perfectible. Les commentaires sont ouverts si vous souhaitez apporter des précisions!

LE CINÉMA

I) L’invention d’une technique et sa stabilisation

Plus d’un siècle après son invention, nous sommes habitués à la prouesse technique du cinématographe.
Je pense pouvoir affirmer sans grand risque d’erreur que nous n’allons pas aujourd’hui au cinéma pour le plaisir saisissant d’admirer une représentation animée et photoréaliste de la réalité, produite par une rapide succession d’images fixes. Le potentiel artistique de cette technique s’est vite révélé. L’exploit technique devenu familier, les spectateurs ont pu commencer à apprécier un film pour d’autres raisons et nous pouvons aujourd’hui nous intéresser au scénario, aux méthodes de narration utilisées, au jeu des acteurs, au travail du son, au bruit du popcorn et au prix du soda.

« […] le plaisir saisissant d’admirer une représentation animée et photoréaliste de la réalité […] »

La Sortie de l’Usine Lumière à Lyon (1895), premier film de la première séance publique payante du Cinématographe Lumière, le 28 décembre 1895 au Salon Indien du Grand Café à Paris. (source : Institut Lumière)

Les deux innovations qui se sont ajoutées à l’invention première (le son et la couleur) ont suivi le même cheminement. Il est probable que l’attrait majeur des premiers films exploitant ces techniques était également de l’ordre de la fascination devant la performance technologique, de l’excitation devant la nouveauté, le jamais vu, l’inouï. Mais peu de temps après, lorsque tous les films furent parlants et en couleurs, que restait-il à découvrir? Tout était-il dit? Sans nouvel apport technologique, le cinéma allait-il se figer? Mourir?

II) Le développement d’un art


Non le cinéma n’est pas mort avec la fixation de sa technique: c’est l’habileté avec laquelle les artistes ont utilisé cette technique existante qui l’a fait progresser.
Au départ la caméra était souvent fixe et les films ressemblaient fort à du théâtre filmé. Puis des réalisateurs comme Eisenstein ont développé de nouveaux codes esthétiques, des outils propres à leur art. Par exemple, le montage et le gros plan sont deux procédés spécifiquement cinématographiques qui ont contribué à l’émancipation du cinéma, à son épanouissement.
Je cite volontiers comme illustration de cette évolution les films de Stanley Kubrick, qui s’est souvent inspiré d’oeuvres romanesques (Lolita, 2001, Orange Mécanique, The Shining, etc.) mais dont on ne peut pas dire qu’il filme simplement du théâtre, ni qu’il adapte bêtement des livres. Non, il transfigure véritablement les romans en films, il maîtrise son art et marque ces oeuvres de son style.
Ainsi le cinéma s’est peu à peu imposé en tant qu’art à part entière, utilisant une grammaire différente de celle des formes artistiques l’ayant précédé comme le théâtre ou le roman.

III) La construction d’une légitimité culturelle

« […] une représentation du cinéma comme art et non plus seulement comme une industrie de divertissement. »

The Art of Stanley Kubrick (2000), documentaire tiré de l’édition DVD de Dr Strangelove (1964).

SI la reconnaissance du cinéma va aujourd’hui de soi, cette évidence a une histoire. Elle fut fabriquée dans les années 1950 en France par l’essor de la cinéphilie, le travail des ciné-clubs et des revues comme Positif ou les Cahiers du cinéma. En 1959 Malraux rattache le CNC au ministère des affaires culturelles (il dépendait auparavant du ministère de l’Industrie) et l’État apporte un soutien financier aux salles d’Art et Essai sur des critères qualitatifs. On peut y voir l’officialisation, le symbole, ou un autre élément de construction de cette reconnaissance.

Je n’entrerai pas ici dans le débat de savoir s’il est souhaitable que l’État juge de la qualité artistique des oeuvres culturelles (c’est plus ou moins une spécificité française), ni dans une tentative de définition de l’Art, je voulais juste souligner que tout cela a contribué à forger une représentation du cinéma comme art et non plus seulement comme une industrie de divertissement. On peut dire qu’aujourd’hui encore nous partageons cette représentation, malgré quelques productions « pas méchant[es], juste profondément idiot[es] » qui pourraient faire douter du « septième art« .

Mais je vous entends trépigner et vous demander quel rapport tout cela a-t-il avec le jeu vidéo? Et vous avez raison: revenons à nos joysticks.

LE JEU VIDÉO


Est-il possible de tracer une brève histoire de l’évolution du jeu vidéo, et cette histoire serait-elle miraculeusement parallèle à celle que nous venons de faire pour le cinéma?

Et je vous déçois tout de suite en répondant à ma propre question : non. Non, le jeu vidéo et le cinéma me semblent fondamentalement trop différents pour que toute comparaison soit totalement satisfaisante. Le jeu n’est pas essentiellement narratif et le cinéma n’est pas interactif. La spécificité du jeu (vidéo), le gameplay, n’a pas d’équivalent sur le grand écran.

Mais tentons tout-de-même de transposer nos trois parties du cinéma au jeu vidéo, et voyons ce que ça donne :

I) L’invention d’une technique et sa stabilisation ?


A) L’invention d’une technique …

« […] on pouvait pour la première fois agir sur le contenu de l’écran de la télévision […] »

http://www.guimp.com/pong.swf

Pong (1972), version miniature réalisée par Guimp en 2002.

Comme nous l’avons dit du cinéma, pourrait-on affirmer qu’à ses débuts, l’attrait principal du jeu vidéo avait quelque chose à voir avec « la fascination devant la performance technologique »? La performance en question n’étant plus ici d’animer des images mais d’y associer des possibilités d’interactivité. Pourquoi jouait-on à Pong? Parce que c’était amusant? Soit. Pourquoi était-ce amusant? N’était-ce pas en grande partie dû au fait qu’on pouvait pour la première fois agir sur le contenu de l’écran de la télévision? De nos jours, le simple fait de pouvoir être acteur des images affichées sur un écran est-il suffisant pour rendre un jeu vidéo attrayant? Pong est-il toujours aussi amusant? J’aurais tendance à penser que non.

En cela notre histoire du jeu vidéo débute comme celle que nous avons tracée pour le cinéma. Cependant, à l’inverse de ce que nous avons vu concernant l’évolution technologique du cinéma (qui s’est globalement stabilisée après l’ajout du son et de la couleur), je pense que le jeu vidéo est encore dans une phase de développement de sa technologie. Seul le domaine du son, comme je l’exposais dans l’article Évolution des techniques sonores du jeu vidéo illustrée par le générique de Monkey Island, me semble avoir atteint une sorte de plafond actuellement. Il a en tout cas rattrapé en qualité ce qui se fait actuellement sur d’autres supports comme le CDaudio ou le DVD. Mais les autres composantes du jeu vidéo n’en sont pas là.


B) … toujours en cours d’évolution.

Nombreux sont les jeux à tenter d’offrir des graphismes et animations hyperréalistes. A tel point que le « réalisme » est un critère de qualité souvent mis en avant par la critique ou le discours commercial des éditeurs ou constructeurs de machines. Cette quête d’un rendu cinématographique pour l’aspect visuel des jeux vidéo n’est pas terminée et alimente une sorte de course à la puissance entre plates-formes de jeu. Cet aspect de l’évolution des jeux vidéo est particulièrement prégnant sur PC où les constructeurs de cartes vidéo 3D sortent très régulièrement de nouveaux modèles dont la puissance est comparée lors de tests utilisant précisément des jeux vidéo (« benchmarking« ). Sur consoles, on retrouve le même discours, microsoft ou sony présentant leurs machines comme des consoles très « puissantes », offrant des animations « réalistes »:

« la console Xbox360™ écrase toutes ses concurrentes dans le domaine de la puissance » (source : site officiel xbox360)

« le réalisme provient […] des effets de texture et d’éclairage avancés qui illuminent les scènes de jeu » (source : site officiel xbox360)

« la PlayStation 2 est capable de projeter un nombre de polygones phénoménal sur votre écran de télé (tous ces polygones constituent les graphismes que vous voyez à l’écran) » (source : spécifications techniques de la Sony PS2 sur le site officiel playstation)

« […] la plupart des techniques du jeu vidéo connaissent encore de grands changements. »

La manette de la Nintendo Wii capte les mouvements (source : Nintendo)

Nintendo, le troisième grand constructeur de console de jeux, souhaite tenir un autre discours concernant sa prochaine console de salon :

« Sony and Microsoft are taking about the same approach for the future by making machines with powerful and sophisticated technology. Nintendo is taking a little bit different approach […] »
« Sony et Microsoft adoptent la même approche du futur en construisant des machines technologiquement puissantes et sophistiquées. Nintendo choisit une voie quelque peu différente […] » (source : Satoru Iwata, président de Nintendo, interviewé par IGN.)

En effet, Nintendo semble ne plus vouloir dépasser ses concurrents sur la puissance de calcul et l’amélioration du rendu visuel des machines. La DS, console portable du même constructeur, offre un rendu 3D techniquement moins impressionant que la PSP de Sony mais dispose d’un écran tactile qui permet d’envisager de nouvelles façons de jouer. La « voie quelque peu différente » évoquée au sujet de la prochaine console de salon consiste notamment en une manette sans fil, réagissant aux mouvements dans l’espace. Nintendo se démarque de ses concurrents mais s’inscrit tout de même dans la poursuite du développement des technologies du jeu vidéo. Le domaine sur lequel porte les améliorations est alors celui de la maniabilité et des interfaces de jeu, traditionnellement moins soumises aux innovations que les graphismes.

Nous avons là une illustration supplémentaire de la non stabilisation et de la non standardisation des technologies mises en oeuvre par les jeux vidéo. Que les constructeurs de machines mettent l’accent sur la puissance de calcul ou sur l’interface de jeu, la plupart des techniques du jeu vidéo connaissent encore de grands changements, contrairement au cinéma.

Nous pourrions donc arrêter dès à présent notre parallèle cinéma/jeu vidéo, mais c’est dimanche et j’ai du temps libre, poursuivons notre exercice en tentant d’appliquer au jeu vidéo la deuxième partie de notre exposé sur le cinéma :

II) Le développement d’un art ?

Avant tout, comme je le disais plus haut, le jeu n’est pas essentiellement narratif. Pong ou Tetris ne racontent rien et sont pourtant bien des jeux. Mettons-donc de côté pour les besoins de cet article toute cette frange non narrative du jeu vidéo et intéressons-nous aux jeux à histoires: comment nous les racontent-ils? Ont-ils pour cela développé un langage qui leur est propre?

Le jeu vidéo s’inspire souvent des représentations visuelles utilisées par le cinéma: travellings, gros plans, vue subjective, génériques, etc. Cette inspiration est encore plus flagrante lorsque les codes esthétiques sont repris de quelques genres cinématographiques bien marqués comme le western ou le film d’horreur.
Je me pose cette question : le jeu vidéo s’inspire-t-il du cinéma comme les premiers films du théâtre ou bien sait-il le faire à la manière de Kubrick s’inspirant de romans? En d’autres termes : le jeu vidéo ne fait-il que singer le cinéma ou parvient-il à développer une narration qui lui serait propre, impossible à établir au cinéma?

« […] une solution de facilité qui consiste à raconter une histoire avec des moyens tirés des formes narratives l’ayant précédé […] »

Bécassine (1934)

Parlons tout de suite des cinematics. Ce sont des scènes qui interrompent le jeu en lui même, ç’est-à-dire l’interactivité avec le joueur et qui se déroulent exactement à la manière d’un film, mettant le joueur en position de spectateur. Elles sont d’ailleurs parfois réalisées en images de synthèses enregistrées sous un format vidéo et la console les lit alors comme un dvd, elle ne calcule pas l’environnement ou les personnages 3D qui y sont représentés, c’est juste une vidéo.

Selon la façon dont elle est exploitée (en terme de durée et de fréquence de ces séquences filmées), je pense que c’est pour le jeu une solution de facilité, assez risquée, qui consiste à raconter une histoire avec des moyens tirés des formes narratives l’ayant précédé (je rejoins en cela l’avis de Pierre Gaultier sur le sujet). Cela me fait penser aux premières bandes dessinées du XIXe siècle qui ne contenaient pas de bulles mais où chaque vignette surmontait un récitatif, au sens bien souvent redondant du dessin qu’il commentait ou au contraire détaillé à l’extrême en comparaison du dessin assez peu significatif. La bande dessinée, à l’époque, singeait le roman. Elle n’avait pas encore développé sa propre grammaire (les bulles, les ellipses).

Hormis les cinématiques, où en est le jeu vidéo dans ses méthodes de narration? C’est un sujet qui pourrait faire l’objet d’une thèse et encore une fois, je ne prétends pas l’épuiser ici. Je vais simplement tenter de rassembler quelques exemples de réussites en ce domaine.

« […] tout le jeu est au service de l’histoire […] »


Monkey Island 2: LeChuck’s Revenge, Lucasfilm Games (1991)

J’aime beaucoup la série des Monkey Island, les jeux d’aventures point and click édités par LucasArts dans les années 1990. Dans ce type de jeu, vous dirigez un personnage à la souris (en pointant et cliquant). Vous disposez d’une série d’actions possibles (parler, prendre, ouvrir, regarder, etc.) que vous pouvez effectuer sur les objets ou personnages présents à l’écran. En réalisant les actions prévues par les concepteurs, vous faites avancer l’histoire. Je pense qu’on pourrait dire que c’est dans ce type de jeux que l’histoire a le plus d’importance: tout le jeu est au service de l’histoire. Enlevez à Monkey Island tout élément narratif, remplacez tous les personnages, décors, objets par des éléments abstraits, des formes géométriques dépourvues de sens : vous ne pourrez plus y jouer. Ce qui ne serait pas le cas pour des jeux plus orientés vers l’action (courses de voitures, jeu de plates-formes à la Mario, etc.) où l’histoire n’est qu’accessoire. Dans ces jeux d’aventures point and click, le gameplay ne permet pas vraiment d’infléchir l’histoire, le scénario. C’est simplement la façon dont l’histoire est racontée qui dépend du joueur. C’est un moyen assez efficace d’impliquer le joueur dans la narration mais le défaut est que selon votre habileté à découvrir les actions attendues, la progression peut être assez lente. Les phases où le scénario avance bien se succédent à celles où vous restez « bloqué », faute d’avoir compris qu’il fallait tout simplement utiliser la casserole de cuisine récupérée au bar en guise de casque pour vous produire au cirque dans un numéro d’homme canon afin de gagner assez d’argent pour acheter en ville la fameuse carte au trésor…
Il n’en reste pas moins que ce type de narration est assez typique du jeu vidéo.

« une narration bien plus réussie et fluide que celle des jeux entrecoupant l’action de scènes filmées non interactives »

Half-Life 2, Sierra (2004). Cette vidéo de « speedrun » (le joueur joue le plus rapidement possible) permet tout de même de se faire une idée de la narration environnementale d’HL2, notamment dans les dix premières minutes.

Un bon exemple de narration plus fluide serait Half-Life 2, édité par Sierra sur PC en 2004. C’est un jeu d’action, de tir en vue subjective (FPS, pour First Person Shooter) dans lequel l’histoire nous est distillée au cours de l’action, l’interactivité ne s’interrompt pas pour afficher des cutscenes. Les personnages rencontrés vous parlent, mais vous n’êtes pas obligés de les écouter (et de façon très étonnante ils continuent de parler, mais c’est un autre sujet 😉 ).
Il contient également de bons exemples de narration environnementale, concept développé par Don Carson (merci encore à Pierre Gaultier pour cette référence). C’est par la mise en scène de l’environnement que le joueur comprend l’histoire: un hall de gare avec des gardiens armés et masqués, des informations télévisées vous présentant comme un terroriste recherché, la ville de plus en plus enserrée par des machoîres d’acier, etc. Le contenu du scénario n’est pas forcément très original, mais ce qui nous intéresse ici c’est la manière dont il nous est raconté. Et Half-Life 2 est en ce domaine bien plus réussi et fluide que les jeux entrecoupant l’action de scènes filmées non interactives. Cette façon de faire est très intimement liée au jeu vidéo, je pense qu’elle ouvre une voie intéressante à suivre pour les créateurs souhaitant utiliser le jeu vidéo pour raconter une histoire sans trop s’appuyer sur les formes de narration des autres arts.

Je dis bien ouvre une voie car je ne pense pas que le jeu vidéo ait d’ores et déjà développé sa propre grammaire narrative. Half-Life 2 fait figure d’exception et très souvent les développeurs ne se soucient pas à ce point du rythme et de la cohérence des univers qu’ils créent.
Certains titres sont certes plus réussis que d’autres mais globalement, si je compare le jeu vidéo actuel (et pas les possibilités qu’il laisse entrevoir) à d’autres vecteurs artistiques, je me dis qu’on est très loin d’avoir commencé à exploiter toutes les potentialités de ce médium. En d’autres termes, je pense que les chefs d’oeuvres du jeu vidéo sont encore à venir et j’ai hâte de jeux qui me mettent à genoux, frissonant d’émotion et les larmes aux yeux de découvrir le monde différemment car oui, il y a des films qui me font cet effet… Bon d’accord, qui me font presque cet effet.

Nous venons donc de voir que les techniques du jeu vidéo ne sont pas encore stabilisées, qu’il n’a pas encore vraiment développé sa propre grammaire narrative, qu’en est-il de sa légitimité culturelle, comparée à celle accordée au cinéma?


III) La construction d’une légitimité culturelle ?

« Pendant longtemps on a exclu les jeux vidéo des industries culturelles au prétexte qu’ils étaient des « logiciels », faisant donc comme s’il ne s’agissait que de productions techniques et sans contenus. C’est ce que dit la loi française de 1985 par exemple ».

(Alain Le Diberder en 2003, entretien disponible sur le site du Ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie)

Le rapport remis en décembre 2003 par Fabrice Fries au Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie partait du constat de « l’état inquiétant » de l’industrie du jeu vidéo en France pour ensuite exposer « les raisons de prêter une attention toute nouvelle à ce secteur » :

• industrielles d’abord : importance nouvelle (marché mondial de 30 milliards €), taux de croissance enviable (15% par an en moyenne), rôle clé de la recherche, qualité des emplois concernés (jeunes, high-tech), importance des PME dans la création ;.
• « culturelles » ensuite : le jeu vidéo est devenu un loisir de masse et occupe une place croissante dans l’imaginaire des jeunes. D’où l’importance du maintien et du développement d’une industrie de la création européenne, capable d’exister dans la concurrence internationale.

(Source : rapport Fries « Propositions pour développer l’industrie du jeu vidéo en France », décembre 2003)

Aujourd’hui en 2006, l’État français apporte son aide à l’industrie du jeu vidéo. Ce soutien se traduit par des aides financières (soutien sélectif apporté par le fonds d’aide à l’industrie multimédia FAEM) ou la création d’une école nationale du jeu et des médias interactifs numériques (ENJMIN) en 2005.

« Culture et économie, même combat. »


Cérémonie de remise des insignes de Chevalier dans l’ordre des arts et des lettres au créateur de jeux vidéo Shigeru Miyamoto. Source : Ministère de la culture et de la communication.

Je pense qu’on peut également attribuer à cette volonté de soutenir l’industrie culturelle du jeu vidéo la remise récente des insignes de Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres à Michel Ancel, Frédérick Raynal et Shigeru Miyamoto par le ministre de la culture et de la communication, et dont j’ai déjà parlé ici. Vous pensez à Malraux accueillant le CNC dans son ministère des affaires culturelles en 1959? Pourquoi pas. Il est en tout cas évident que l’État souhaite apporter son aide au secteur industriel du jeu vidéo, et que la reconnaissance culturelle est un moyen (ou un effet, selon comme on voit les choses) de cette volonté. Bref, comme disait Jack Lang : «culture et économie, même combat».

Tout cela peut donner l’impression que l’État tente actuellement de légitimer culturellement le jeu vidéo avant même qu’il ait pu développer son potentiel artistique. Peut-être est-ce prématuré? Peut-être aussi peut-on penser que, justement, cette reconnaissance associée aux aides financières permettront aux éditeurs de donner plus de liberté aux créateurs alors en position de pouvoir mettre plus d’eux-mêmes et de leur talent dans leurs créations? Ne souhaitant pas me livrer à un grotesque numéro de divination, je ne répondrai pas à ces questions.

Si je devais apporter une conclusion à cet article, je dirais que le jeu vidéo et le cinéma sont intrinsèquement différents en tant que vecteurs narratifs, qu’ils n’en sont pas au même stade de leur évolution mais qu’en tant qu’industries culturelles ils présentent des ressemblances sur certains points précis de cette évolution. Pour l’heure je vous quitte, l’excellent Doukutsu Monogatari m’attend!

sources : Institut Lumière, L’Exception, L’Europe et la culture: rapport d’information du Sénat, Guimp, PolygonWeb, Russie.net, Ctendance, Omnsh, DGE/Minefi

Événements·JV/Culture

Chevaliers des arts et des lettres

Chevalier des Arts et des LettresCe lundi 13 mars Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, remettra les insignes de Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres à
Michel Ancel [◎] et Frédérick Raynal [◎]. Shigeru Miyamoto [◎] sera également admis et non reçu dans l’Ordre, puisqu’il n’est pas français.

Sans doute du fait de ce statut particulier, Miyamoto ne figure pas dans l’arrêté de Janvier 2006 (qui m’apprend à l’instant et en tout hors sujet que mon ancien professeur de langue et civilisation anglaises et américaines Jacques Darras sera fait officier des Arts et des Lettres).

TOUTE PREMIÈRE FOIS ?

Miyamoto donc, est en revanche bien mentionné dans le communiqué paru aujourd’hui sur le site du ministère. Ce communiqué précise par ailleurs que :

C’est la première fois que des créateurs de jeux vidéos se verront remettre cette distinction []

Ce qui est faux, puisqu’en 1999 c’est Philippe Ulrich [◎] qu’on avait décoré. C’était certes une époque différente puisque Madame Catherine Trautmann était à la tête de l’administration chargée des affaires culturelles en France, mais je m’étonne de ce communiqué oublieux et maladroit. Les images poncives de modernité et de vitesse qu’il utilise

(nouvelle [] dynamique [] en pleine évolution [] public de plus en plus nombreux)

associées à cette fausse « première fois » esquissent une conception de la nouveauté comme fin en soi. Mais je n’irai pas jusqu’à affirmer que le ministère de la communication préfère le culte de la modernité à la culture de la mémoire. Revenons à nos médailles.

C’est donc le ministre de la culture qui est chargé de l’exécution du décret ayant institué l’Ordre des Arts et des Lettres en 1957, et qui récompense les personnes qui se sont distinguées par leurs créations dans le domaine artistique ou littéraire ou par la contribution qu’elles ont apportée au rayonnement des arts et des lettres en France et dans le monde. Je n’ai trouvé aucune page expliquant l’Ordre sur le site du ministère de la culture.

AILLEURS QU’EN FRANCE

En Grande-Bretagne :

Ce n’est pas non plus la première fois qu’un créateur de jeux vidéo reçoit une distinction honorifique… hors de nos frontières puisque l’anglais Peter Molyneux [◎] a été cité en début d’année dans la liste de l’Order of the British Empire (équivalent anglais de notre Légion d’Honneur, décerné par la Reine) pour services rendus à l’industrie du JV.
L’OBE (Order of British Empire, Ordre de l’Empire Britannique) fut créé durant la première guerre mondiale par George V. Le seul critère est d’avoir rendu un service de grande valeur au Royaume Uni (valuable service), dans tout domaine possible. La devise de l’Ordre est ‘Pour Dieu et l’Empire’ (For God and the Empire).

Aux États-Unis :

L’américain Ralph Baer [◎]a lui aussi été décoré en février de la National Medal of Technology pour :

[] his groundbreaking and pioneering creation, development and commercialization of interactive video games, which spawned related uses, applications, and mega-industries in both the entertainment and education realms.

Traduction approximative :

[…] son action pionnière en termes de création, développement et commercialisation des jeux vidéo qui ont donné naissance à de nouveaux usages, applications et gigantesques industries aussi bien dans le domaine du loisir que dans celui de l’éducation.

La National medal of technology a été créée en 1980 et récompense

those who have made lasting contributions to America’s competitiveness, standard of living, and quality of life through technological innovation, and to recognize those who have made substantial contributions to strengthening the Nation’s technological workforce. By highlighting the national importance of technological innovation, the Medal also seeks to inspire future generations of Americans to prepare for and pursue technical careers to keep America at the forefront of global technology and economic leadership.

Traduction approximative

ceux qui ont apporté une contribution durable à la compétitivité et la qualité de vie de l’Amérique au travers d’innovations technologiques […] En soulignant l’importance nationale de l’innovation technologique, la médaille se veut inspiratrice des générations futures qui préparent et poursuivent des carrières techniques afin de garder l’Amérique à la pointe de la technologie et du leadership économique.

On voit que ces trois distinctions remises à des personnalités différentes du jeu vidéo récompensent des valeurs assez différentes. La médaille française juge de la valeur artistique des oeuvres de ses récipiendaires (notre bonne vieille spécificité de ministère de la culture qui suggère aux citoyens ce qui est bon et mauvais). L’Angleterre distingue très largement et plus simplement ceux qui lui ont rendu service (pour Dieu et l’Empire!). La décoration américaine semble très pragmatique puisque c’est le caractère inovant, compétitif et exemplaire qui est couronné.

Source : Joystiq.

[tags]Frédérick Raynal, Shigeru Miyamoto, Michel Ancel, Ordre des Arts et des Lettres, Philippe Ulrich, Peter Molyneux, Order of British Empire, Ralph Baer, National medal of technology[/tags]

Mise à jour Lundi 13 mars 2006 : on peut désormais trouver sur le site du ministère de la culture la retranscription des discours de la cérémonie de remise des insignes qui a eu lieu aujourd’hui. Il est intéressant de noter que le ton est nettement plus passionné et enlevé que celui du petit discours prononcé lors de la cérémonie de remise du même titre à Philippe Ulrich en 1999.

Événements·JV et BIB

Gaming in Libraries: pourquoi le jeu vidéo en bibliothèque?

J’ai découvert via le défunt Biblioacid l’existence du Symposium américain « Gaming In Libraries« .
J’en reparle ici dès que j’aurai un peu plus exploré le site et ceux qui en ont parlé.

[…]

(NON AU) JV COMME « PRODUIT D’APPEL »

L’intimidant « symposium » du titre m’a induit en erreur et j’aurais sans doute dû y voir le sens grec de discussion de fin de banquet plutôt que de m’attendre à des conférences très pointues sur le jeu vidéo en bibliothèque, sa conservation ou son histoire. Le jeu vidéo semble ici surtout traité comme un moyen de faire venir le public jeune à la bibliothèque. J’en prends pour exemple cette citation tirée du compte-rendu d’un des bibliothécaires participants à propos de l’organisation en bibliothèque d’un tournoi de jeu vidéo :

[…] we had one comment from a parent [who] came up to me and said, ‘Do you know this is’—this was in the middle of summer—’the first time my son has been out of bed before eleven all summer? He got himself up and showered, and to the LIBRARY, at eleven a.m. on a weekday during the summer. Thank you—for getting him out of bed this summer!' »

Traduction approximative:

[…] un parent nous a fait ce commentaire, il est venu me dire : « Savez-vous que c’est la première fois de tout l’été que mon fils s’est levé avant 11 heures? Il s’est levé, a pris sa douche et s’est rendu à 11 heures du matin à la bibliothèque en plein été. Merci de l’avoir tiré de son lit cet été!

Je ne suis ni convaincu, ni très intéressé par cette approche et je regrette finalement d’avoir commencé un premier billet à ce sujet. Mais je poursuis, puisque je vous avais promis d’en reparler.
Peut-être mon scepticisme est-il dû, pour rejoindre l’analyse de Bruit et chuchotements, à une différence de représentation des missions des bibliothèques publiques entre France et USA?

Je serais plus intéressé par une démarche qui consisterait à acquérir des jeux vidéo pour le jeu vidéo lui-même, à constituer une collection représentative de son évolution, à même d’en retracer l’histoire. Cette collection pourrait très bien être valorisée par l’organisation de tournois, ce n’est pas ce qui me gêne dans l’exemple cité ci-dessus. Non, ce qui ne me convainc pas c’est vraiment de constituer une collection ou d’organiser un événement dans le but d’en faire un « produit d’appel » vers la bibliothèque, ou vers la lecture… C’est le même raisonnement qui nous pousse(rait) à acheter plusieurs exemplaires du dernier best-seller sur lequel on porte un jugement de valeur négatif en proclamant que ça fera venir de nouveaux lecteurs qui ensuite iront emprunter Shakespeare , – insérez ici votre propre référence culturelle hautement légitime et incontestable – ou Euripide. 1-C’est à prouver. 2-Interrogeons-nous au moins sur les raisons qui font qu’on juge meilleur de lire Euripide que Tartempion et soyons au moins capables de les formuler avant de prétendre éduquer les lecteurs.

(NON AU) JV COMME SUPPORT (MÉTHODE?) D’APPRENTISSAGE

Une autre approche qui retient peu mon intérêt est d’acquérir et proposer au public des jeux vidéo pour leurs mille et une vertus dans l’aide à l’apprentissage. Le titre complet de notre symposium était d’ailleurs Gaming, learning and libraries, cela aurait dû me mettre la puce à l’oreille… Bref, comme l’affirme ce site, par exemple :

Games teach complex problem solving and collaborative learning

Traduction approximative:

Les jeux apprennent à résoudre des problèmes complexes et l’apprentissage à plusieurs (« collaboratif »)

Là encore c’est à prouver et j’ai tendance à y voir plus un argument de vente des éditeurs destiné aux parents achetant des jeux pour leurs enfants que comme une bonne raison (un alibi?) pour une bibliothèque d’intégrer des jeux vidéo à ses collections. C’est sans doute cette même approche qui fait écrire cette perle à Daniel Ichbiah, dans sa par ailleurs très agréable Saga des jeux vidéo, à propos de Sim City :

Tous les maires devraient, de temps à autre, se livrer à une partie de ce jeu. Peut-être acquerraient-ils avec le temps, un meilleur recul quant à la gestion de la ville dont ils ont la responsabilité. Et l’on serait même tenté d’inviter tous ceux qui aiment à donner des conseils en matière d’urbanisme à soumettre leur supposée sagesse à une session de Sim City. Ils en ressortiraient plus humbles et riches d’une meilleure compréhension de cette activité.

37064390Oui, Sim City est un bon jeu, oui, il présente un intérêt certain comme représentation des mécanismes régissant une ville, mais non, je ne pense pas qu’il puisse servir de support d’apprentissage d’urbanisme ou de gestion communale.

LE JV POUR LUI-MÊME !

Pour résumer, voici mon credo : le jeu vidéo en bibliothèque, oui, mais *pour lui-même*. Intéressons-nous au jeu, à son histoire, à la formidable diversité de machines l’ayant déjà porté… C’est un support jeune, parfois maladroit et bredouillant, ne nous laissons pas aveugler par le caractère souvent fortement industriel de son édition, il porte en lui de merveilleuses possibilités narratives et artistiques qui, j’en suis certain, sont encore à venir.

[tags]gaminginlibraries2005, jeu vidéo, bibliothèques, sim city, Ichbiah[/tags]

Le site

Avant-propos (loading…)


Qu’est-ce-que ce site?

Nous sommes le 1er mars 2006. Je suis bibliothécaire et j’ai 31 ans.
Le jeu vidéo également, à peu près. Peut-être par manque de légitimité culturelle, les jeux vidéo sont encore relativement peu présents aujourd’hui en [tag]bibliothèque. De même, les écrits sur le jeu vidéo (presse magazine ou livres) abordent rarement les domaines qui nous concernent en bibliothèque (patrimoine, culture, conservation…).
Je pense toutefois que que cette situation va évoluer et j’aimerais dès aujourd’hui réfléchir aux questions qui se poseront dès lors que nous aurons à acquérir, conserver et proposer au public le patrimoine vidéoludique. J’ai également envie de vous faire découvrir différents aspects du jeu vidéo au travers de son histoire, d’en présenter l’évolution. C’est, à l’heure de sa création, le but de ce site. J’aborderai également parfois des points plus liés aux bibliothèques qu’aux jeux.

Si en tant que professionnel des bibliothèques vous vous intéressez au jeu vidéo et désirez participer au développement de JvBib, vous pouvez également me contacter par email ou sur twitter @jvbib.

Bonne visite !
Laurent


Qui suis-je?

J’ai joué à mon premier jeu vidéo voilà bientôt 30 ans (198x). C’était à l’école primaire, sur le To7-70 installé à côté des livres du bibliobus. Aujourd’hui je suis bibliothécaire (depuis 199x). Je n’envisage pas d’abandonner ces deux activités de si tôt 🙂

Après des études d’informatique, puis de langue et civilisation anglaise, j’ai obtenu le concours de bibliothécaire territorial et suis actuellement en poste en bibliothèque municipale. J’ai travaillé deux ans en bibliothèque universitaire, huit en bibliothèque territoriale et quelques mois (autant que ma période de stages post concours me l’a permis) à la BnF, au service documents multimédias du département de l’audiovisuel.


Me recruter ?

Vous travaillez sur les questions de préservation du patrimoine numérique, vous vous intéressez à une vision patrimoniale du jeu vidéo, ou vous souhaitez développer un fonds de jeu vidéo dans votre établissement : actuellement en bibliothèque territoriale, je reste ouvert à toute proposition. Vous pouvez me contacter par email afin que je vous envoie un CV plus complet et que nous échangions sur l’opportunité de travailler ensemble.